Diavolina Gyorgy Spiro

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La vie de Maxime Gorki dans les interstices de ses dissimulations, face aux pièges et autres manipulations staliniennes. Dans une étourdissante cohortes de présences et de haines, sous le regard rieur et juste de celle qui fut sa domestique puis son infirmière, György Spiró fait défiler toute la première moitié du siècle soviétique. Entre exil doré, vanité des protestations et assentiments tacites contre les massacres et purges, Diavolina offre une image saisissante de cette vie intellectuelle.

Voilà un long moment que je cherche à lire un romancier hongrois contemporain qui parlerait de son pays aujourd’hui. Si vous avez des suggestions, n’hésitez surtout pas tant il me semble que, pour ce que je peux en percevoir depuis la France et un regard pas si attentif, des écrivains majeurs, aussi indispensables que Seiobo est descendue sur terre ou Peter Nadas, tiennent non sans raison le devant de la scène. De Ben Lerner dans 10 :04 à Trois étages de Eshkol Nevo ou encore à Hors de soi de Salzmann, la littérature actuelle semble indispensable à saisir les zones de contestation, d’invention d’un autre rapport à l’espace… Retour à Budapest de Gregor Sander effleurait, avec talent, la contestation hongroise dont j’aimerais avoir des nouvelles.

Mon préambule n’est pas aussi inutile qu’il peut d’abord sembler. Je crois, même si je ne suis pas entièrement capable d’y parvenir, qu’il faut entendre la menace totalitaire qui pèse sur la Hongrie, la place donc également des espaces de contestation et d’invention, pour comprendre pourquoi György Spiró, dramaturge reconnu, choisit de se plonger dans l’histoire soviétique et dans une description renseignée et ironique – pertinente autant que je puisse en juger – du lent glissement vers le totalitarisme, le pacte implicite avec le nazisme, l’effacement des léninistes de la première heure, des juifs bolcheviks aussi au passage. Une question ouverte qui ne constitue aucunement une critique.

tous ceux qui avaient mauvaise conscience vis-à-vis du « peuple » dont personne n’aurait su dire ce qu’il était sauf que les pauvres en faisaient sûrement partie.

Par ce livre, je retrouve une démarche d’approche un peu facile, abandonnée avant qu’elle ne devienne un automatisme. Une réticence initiale qui permet pourtant de pénétrer en catimini dans le projet même du livre. En dépit d’un index à mon goût un rien sommaire, le lecteur est assommé par une profusion de noms, de présences autour de Gorki. Pas toujours facile de démêler qui ils sont et surtout quelle fut leur place dans les saloperies, surveillances et délations, qui pullulaient dans la cours du grand auteur. Il faut abandonner sa posture de surplomb, accepter cette version de l’histoire pour jouir de toute sa virtuosité, son très haut comique d’un point de vue attendrie mais jamais dupe pour raconter les « haines tenaces {qui} sous-tendaient cette compagnie. » Un regard domestique, proche de tout ceci mais assez en retrait pour en voir les dissimulations nous offre alors un portrait assez saisissant de Gorki, de ses silences et de ses protestations, les manières dont il voulait aider les écrivains et dont son soutien fut un piège. Sans doute fallait-il alors toute cette présence pour donner à voir cette surveillance sans visage, cette trahison sans nom, cette responsabilité à la fois individuelle et collective.

inculte, rigide, violente, limitée, hypocrite, pudibonde, jalouse, méchante, bornée, glaciale, cruelle, le type même de la nouvelle génération de communistes.

Au-delà de la distance de Gorki au spectre de son propre personnage, György Spiró laisse entendre l’exaltation des prémisses révolutionnaires, la première tentative de 1905 et puis le climat de l’exil où Gorki fréquentait, sous l’œil de Moscou, blancs et rouges, lisaient les manuscrits. Une lecture naïve laisserait croire que l’auteur excuse ses dérives, il sait seulement les dénoncer avec finesse. Donnons seulement l’exemple de la visite de Gorki à l’archipel de Solovki (dont Prilepine parle si bien) et où il n’hésite pas à voir la naissance d’un homme nouveau, l’homme soviétique, tout cela dans l’espoir de construire son institut médical où il avait, transhumaniste avant l’heure selon le beau portrait de Pierre Ducrozet dans L’invention des corps, volonté d’éradiquer la mort.

Au-delà aussi du très beau portrait intellectuel (celui de Wells et de Romain Rolland par la bande), György Spiró dépeint les femmes de la vie de Gorki. En dehors de cette narratrice dont l’attachement n’est jamais précisé, les présences de Maria Fedorovna comme celles de Moura, des anciennes maîtresses dont jamais Gorki ne se sépara. Un homme transparaît dans ses attachements, ses fidélités malheureuses aussi.



Un grand merci aux éditions Actes Sud pour l’envoi de ce roman

Diavolina (trad : Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, 230 pages, 21 euros cinquante)

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