Sanction Ferdinand Von Schirach

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Instantanées de justice, fragments d’humanité. Avec une rare économie de moyen, une admirable façon d’exposer des bribes du passé de ceux dont la vie bascule, qui se trouvent confronté à la justice, sans en faire une explication sociologique ou psychologique définitives, Ferdinand von Schirach captive son lecteur en douze nouvelles cliniques et pourtant sans jugement. Sanction ou la tragédie exposée face au sens qu’on peine à lui donner, œuvre d’un grand moralisateur.

La justice occupe une place toute particulière dans l’œuvre si précise de Ferdinand von Schirach. Dans ses conversations avec Alexander Kluge, le très joli La chaleur de la raison il explique tenter d’en faire un objet littéraire pour la question morale apportée par chaque jugement. Il ne s’agit pas pour lui, je crois, de laisser accroire que la justice, institution éminemment faillible et sujet à la mise en récit que nous nous en faisons, pourrait apporter une réparation mais plutôt elle opère une reconstitution de notre réalité quotidienne à partir du moment où l’on tente d’y échapper, où l’on bascule dans la logique criminelle. L’ambivalence est alors l’essence de l’objet littéraire : l’ambivalence non l’ambiguïté comprise comme un perpétuel relativisme moral. L’affaire Colini s’emparait avec un vrai talent, une tension dramatique admirable de cette reconstitution ; le superbe et flottant Tabou revenait lui sur le sentiment d’étrangeté à soi qu’il parvenait à renseigner, à donner à voir et à sentir avec cette panique d’un nihilisme affronté par beaucoup de cet auteur allemand. Les brèves nouvelles de Sanction concentrent, en quelques pages limpides et tendues, ces deux aspects.

Les nouvelles de Sanction semble reprendre une structure similaire : un exposé du passé et de l’enfance, un traumatisme souvent exposé sans qu’il explique ni ne justifie le geste meurtrier qui va suivre. Tout l’enjeu d’un recueil de nouvelles est sa cohérence dans la variété. Dans Quand arrive la pénombre Jaume Cabré prenait le meurtre comme prétexte à la rémanence de ses histoires. On peut penser que Ferdinand von Schirach, lui, s’amuse de la pesante horreur de notre quotidien. Il examine alors les blessures minuscules qu’il nous inflige, la façon dont on peut soi-même en faire un récit pour s’arranger avec la réalité. L’auteur n’oublie cependant jamais tout à fait que l’art de la nouvelle est aussi fait de facilité, de chute et de retournement de situation qui font toute la séduction du texte bref. Ferdinand von Schirach, en quelques phrases, donne à voir l’inconsistance dans laquelle nous nous débattons : un homme seul qui prend sa poupée gonflable pour sa compagne, un autre ne supporte pas l’intrusion du présent dans son univers immuable patiemment construit pour lutter contre une disgrâce physique, un autre ne supporte plus sa femme depuis son accouchement et en reproduit l’aspect en portant une combinaison de plongée, une femme devient avocate pour échapper à son éducation, une autre devient jury et craque comme si on pouvait y lire un écho à son enfance. Les conclusions interviennent alors, dans leur surprise, comme une façon de surprendre  le jugement. On s’étonne souvent de la sympathie éprouvée par presque tous les comportements répréhensibles.  Sanction nous rappelle que la capacité de juger est celle de se demander ce que nous aurions fait, nous, dans cette situation. Pas mieux ou pas pire sans doute.



Un grand merci aux éditions Gallimard pour l’envoi de ce livre

Sanction (trad : Rose Labourie, 169 pages, 16 euros)

2 commentaires sur « Sanction Ferdinand Von Schirach »

  1. J’avais vraiment beaucoup aimé L’affaire Collini, et en discutant avec un collègue, il m’avait dit qu’il le préférait largement en nouvelliste qu’en romancier. Alors je sens que je vais me laisser tenter par celui-ci, pour me faire ma propre idée.

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