
L’univers de Saul Bellow, entre gravité et humour, profondeur et sens de l’anecdote : une conversation qui retrace un itinéraire, une appartenance et surtout les limites de ce que le romancier ne veut pas mettre en scène mais raconter. Norman Manea interroge avec finesse, par le partage d’obsessions, les pudeurs d’un romancier, les fictions inventées pour se cacher.
Avant de s’en aller, curieuse et intéressante conversation. Il me faut aussi bien admettre que son écoute a été perturbée par un fait assez simple : pour ma plus grande honte, je ne connais pas du tout l’œuvre, à peine le nom de Norman Manea. Peut-être est-ce pour cela que j’ai eu la curieuse, pas désagréable au demeurant, impression que chaque interlocuteur tentait de tirer la couverture à soi, comme on dit. Nos conversations, sans doute, ne fonctionnent pas autrement : faire parler autrui ne revient-il pas toujours à le contraindre à dire ce que l’on veut, ou peut entendre. Dans Cette brume insensée, Enrique Villa-Matas rapporte cette décisive conception de Bellow : la seule vraie lutte de l’humanité est celle pour imposer sa version des faits. Souvent, on sent l’auteur Des aventures d’Augie March assez réticent, comme sur cette réserve de romancier qui déjà se demande comment lui écrirait, mettrait à distance les questions soulevées par Norman Manea. On aime alors les pirouettes, cette forme d’élégance et de pudeur, de Saul Bellow. Un homme qui vieillit, regarde avec égard, amusement, mais compréhension aussi, celui qu’il a été.
J’ai peut-être un tempérament d’esclave, qui plie trop facilement sous les chaînes. Et qui se rebelle ensuite et explose dans une révolution comique.
Peut-être que pour bien comprendre cette conversation, il faut s’arrêter sur la posture qu’y tient Norman Manea. Discrète et tenace nostalgie de ce livre : on y lit encore la possibilité du grand romancier, reconnu, toujours critiqué pour la ressemblance supposée, difficile à établir, entre son œuvre et ce qu’il prétend être. Norman Manea apporte une très intéressante perspective roumaine sur la réception des romans de Bellow. On peut tout de même regretter que Bellow, sans doute pour ne pas répondre, se livre à l’anecdotique. Portraits acides et amusés de Mircea Elliade ou de Ionesco. On apprend peu sur l’écriture elle-même. Bellow se rétracte toujours face à la pensée, il cherche, on l’a dit, des façons de la raconter, de l’incarner dans ses personnages. Sans doute est-ce cela un grand auteur : quelqu’un qui n’a pas grand-chose à dire tant tout est dans ses livres. À la lecture d’Avant d’en finir, on se souvient de la nécessité de lire et relire Bellow.
Malgré tout, sous l’insistance de Manea (mais l’homme n’est-il pas ce qu’il cache ?), cette conversation dessine en creux les passionnantes mémoires d’un auteur. Un romancier est souvent au carrefour de discours structurants dont il s’amuse, se distancie, peine à se déprendre souvent aussi comme pour inventer ce qui revient. Avant de s’en aller offre à ce titre un portrait du XX ième siècle. Exil et plurilinguisme : les langues perdues façonnent durablement celle que l’on se croit pour soi. Les parents de Bellow émigre au Canada en 1915. Un quartier juif, on y parle plusieurs langues, on se débrouille. On aime entendre que Manea comme Bellow ont été éduqués en attendant des lectures de Sholem Aleykhem. L’hébreu ponctue la conversation, la question de la judéité et sa place centrale dans le roman américain. Le récit d’une émancipation. Un regard désabusé, mais voulu rieur, sur des engagements de jeunesse. La découverte, nu, de l’analyse selon Reich, sa visite à Trotksi le jour de son assassinat. Toute une époque.
Merci aux éditions de La Baconnière pour l’envoi de ce livre.
Avant de s’en aller Saul Bellow, une conversation avec Norman Manea (trad Marie-France Couriol et Florica Courriol, 159 pages, 11 euros)
Sauf Bellow est une lecture ancienne. mais de Norman Manea, j ai lu récemment Le Retour du Hooligan qui semble correspondre à la problématique de Avant de s en aller et je serais curieuse de lire ce dernier livre
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