Aux objets tu peux te confier Jeanne Borensztajn

Prendre le temps de raconter une histoire, de se mettre à l’écart du temps, de la norme, se confier aux objets, à la poussière, pour révéler ce que l’on aurait pu être. Subtile dystopie, portrait de nos enfermements salariaux remplaçables, Aux objets tu peux te confier offre une jolie préservation de la possibilité de se dire, pas tout de suite, pas totalement.

Les très belles, et artisanales, Dynastes nous offre un nouveau livre où, comme Liquider l’or de Victor Taranne, il s’agirait d’accéder à une conscience de soi par un écart, un dépouillement. Mais, peut-être est-ce l’histoire de tous romans : la manière dont on croit pouvoir échapper au temps. Jeanne Borensztajn fait de son roman un acte de résistance ordinaire, obstiné. On pense autant à la mélancolie de la résistance de Krasznahorkai qu’à la désistance de Lucien Raphmaj. On craint d’abord que Aux objets tu peux te confier ne soit qu’une morne description, blanche, du monde du travail. L’autrice sait faire glisser dans la dystopie par d’insidieux éléments absurdes, si familiers qu’ils ne peuvent être qu’étrangers. Ou l’inverse. Une once de marginalité est-elle indispensable au désir de raconter son, ou une, histoire. Sans doute faut-il seulement accepter que les choses ne coulent pas de source, qu’il conviendrait de se fondre dans un récit, confortable, impersonnelle.

Je répète faire un emploi convenable de mon temps, avec de l’étonnement, puis je dis alors qu’est-ce qui m’empêche de le prendre, de l’étirer un peu, de l’éparpiller, c’est une façon comme une autre de l’employer.

On remarquera au passage que ce glissement dans une sorte de résistance, vers une bulle d’un temps autre (pas tout de suite, pas encore, que peut-on espérer de mieux ?), ce fait dans le décalage syntaxique de Jeanne Borentsztajn. On passe de cette langue blanche, sous-écrite, à une proposition presque de trop. Intrusion d’une autre logique. Alors, les relations amoureuses sont montrées pour ce qu’elles sont aussi : un ferment social. Société de douce surveillance, la solitude y demeure souverain danger. On adjoint à Tom, Arman. Sorte de frère à l’invasive et normative bienveillance. Mariage sur dossier, la plus sûr de faire, comme on disait, rentrer dans le rang. Pour une histoire de chemise, tout est suspendu. Tom ne rencontrera pas immédiatement Marta. Première suspension, première rébellion. Le début de l’invention d’autre chose.

Un fil à mettre entre nous deux, assez fort pour nous lier assez long pour nous laisser de l’espace, invisible pour qu’il ne rende pas les autres jaloux, immatériels pour qu’il ne nous rende pas maladroit.

Une belle définition de l’amour quand il demeure dans sa virtualité, un fil fantôme, vestige de cette chemise tâchée qui n’a pas permis la rencontre, qui suspend la présence. Tom devient lui-même un fantôme, il hante son lieu de travail. Éloge de l’immobilité, de l’attention aux objets, aux histoires et autres films en noir et blanc. Les rêves qui reviennent. Fragile parenthèse dans ce roman qui parvient à maintenir l’étrangeté.


Merci aux éditions Dynastes

Aux objets tu peux te confier (120 pages, 15 euros)

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