Mauvaises méthodes pour bonne lectures Eduardo Berti

La lecture comme ludique appropriation, découpages et détournements, rieuses expériences où en creux se devine une apologie du livre, de son partage et de son long compagnonnage comme épreuve de la présence qu’il permet, invente autrement. Dans ce Petit Ouvroir de lectures potentielles, derrière l’humour, les procédés absurdes, Eduardo Berti transmue notre rapport au livre dans un partage, en une interrogation sur sa matérialité, sur ce qu’il nous apporte, perte et mémoire, coïncidences et correspondances.Mauvaises méthodes pour bonnes lectures spécule sur ce qu’il reste de nos lectures, sur l’arbitraire des liens tissés entre elles, peut-être même sur la signification, la portée, de ses jeux, la continuation de l’OULIPO.

En 135 fragments, courts chapitre comme autant d’expérience, Eduardo Berti met en scène la pluralité de ce qui pourrait être pris pour sa théorie de la lecture. On le sait, il aime les doubles fonds, les illusions et cultive, depuis Un fils étranger et sa suite, en trompe-l’œil, Un père étranger, un art certain pour parler d’autre chose tel un illusionniste. La lecture, qui sait, s’y réduit : un tour de passe-passe autour de notre désir de croire, notre illusion de construire un sens. Notons que ce livre de faux conseils, d’impératifs sur la meilleure façon de mal lire un livre (lire un livre dans le costume idoine, en supprimant tous les adjectifs, seulement les pages paires, la page 99…) est un texte écrit directement en français. Allez savoir ce que l’on peut en tirer comme argument. À moins de faire comme l’auteur, retrouver le plaisir du texte en lui rendant son étrangeté fondamentale, en le lisant comme s’il s’agissait d’une traduction, comme s’il s’agissait d’un texte venu d’une civilisation abolie, d’un monde à venir, comme s’il fallait d’abord en situer nos incompréhensions. Mais la lecture est-elle seulement un plaisir critique, une volonté de sens ? Un pur jeu de langage, une manipulation et une contrainte, un strict détournement de l’émotion comme le proposait l’OULIPO. Il me semble pourtant qu’Eduardo Berti ménage, pudique, cet interstice. On pourrait le nommer goût du fragment, l’éloge de la nouvelle. Relire des œuvres de la dernière à la première, intervertir celui des nouvelles dans un recueil. Recomposer, découper juste pour voir ce qu’il en reste. Peut-être pas grand-chose, ce peu qui revient étant sans doute le précieux reliquat de la littérature. Une réception différenciée ; la persistance d’une incompréhension. Demander dans plusieurs librairies un livre qui se présenterait sous le même résumé confus, arrêtez quand vous obtenez le même livre. Inventons, comme pour les romans dits classiques, un second titre, inventons de faux-spoilers à glisser dans des livres de bibliothèques.

Cherchez dans ce livre, dans chacune des ses phrases, dans ses mots les plus fortuits, une trace de tous ces autres livres que vous auriez pu lire, mais qui n’existent pas et n’ont jamais existé.

On pense alors, aussi immanquablement que tous les rapprochements proposés par Eduardo Berti, à son Demain s’annonce plus calme : on aime les livres qui se livrent à un plaidoyer pro domo, inventent la littérature comme activité souveraine, divertissement universel. Mauvaises méthodes pour bonnes lectures poursuit, avec la même mordante ironie, la certitude que nous pouvons faire société — dans l’erreur d’interprétation — autour du livre. Tentons de glisser des vers dans des romans, d’y déceler des acrostiches, d’en dessiner les contours, d’en couper quelques paragraphes, d’en changer la mise en forme. Liberté pour la lecture.


Merci à la Contre-Allée pour l’envoi de ce livre.

Mauvaises méthodes pour bonnes lectures (illustrations d’Étienne Lécroart, non paginé, 160 pages dit l’éditeur, 8 euros 50)

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