À la première étoile Andrew Meehan

Amnésie amoureuse, sa passion c’est sans doute ce, sans pouvoir l’oublier, dont on ne peut se souvenir, ce rien obstinément intraduisible qui reste de nos vies. Dans son premier roman, Andrew Meehan retrace le puzzle de la conscience d’Eva Hand, une Irlandaise paumée à Paris. Comme on invente un personnage, À la première étoile suit sa fuite, ses refus, ses dissimulations pour mieux en laisser ouverte la part d’imagination et d’opacité.

Un personnage de roman peut-il se créer, phrase après phrase, autrement que par sa fuite, que dans tout ce qui échappe à son prétendu créateur. À l’instar d’Erwan Larher dans Pourquoi les hommes fuient ou, plus précisément, de Burhan Sonmetz dans Labyrinthe: l’apparition d’un personnage le montre souvent, avec bonheur, en fantôme de lui-même qui accompagne l’auteur dans sa recherche de ce que pourrait être ses traits distinctifs. Ce fantôme en fuite est nécessairement peu fiable comme si aucune vérité ne pouvait s’illuminer sans la certitude qu’elle est partiale, mensongère peut-être mais surtout incarnée dans ses regrets seul apte à saisir les instants. On suit donc une jeune femme qui reprend conscience dans un restaurant, qui ne se souvient de rien, qui peu à peu tente de se fondre dans d’heureuses anamnèses. « Étrange comme le dépit vous donne un sentiment de légèreté – celui que l’on ressent quand on est amoureux. » À la première étoile par le portrait de cette héroïne toujours en avance d’elle-même, qui fait de son amnésie une possibilité que tout aille très vite, que rien ne s’attarde pas dans cette normalité, incarne une atmosphère. Notre réalité est peut-être faite de nos dénis. « Il y avait tant de choses à redouter dans ce monde nouveau. Frottis vaginal, sport, Dieu, ce genre de chose. » Des mots de passe et des identités fixes. Savoir peut-être aussi si nous ne sommes pas plus ou moins fous, égarés dans une hallucination que l’on croit propre. Par le point de vue fragmentaire et très minimaliste de son héroïne, narratrice de presque tous ces chapitres aux allures de fragments, Andrew Meehan parvient à saisir une atmosphère. Le Paris des restos, entre galère et luxe, celui des vacances de ses riches héritiers exilés. Il parvient même à nous rendre sympathique la très chic île (avec un pont!!) de Ré. Et on y croit, sans doute par son aspect de reconstitution, par la nostalgie de ce qui ne veut passer et ne s’est peut-être pas passer. Eva, indomptée, s’invente des amours. On y croit, c’est beau, un peu con, commun. « Une petite part de tranquillité, chacun peut bien demander ça. » Sans doute par le charme d’une atmosphère rendue dans ce qu’elle a d’intraduisible. Peut-on se souvenir de son premier baiser, de l’émoi qui s’enfuit… ?

Il faut alors souligner le travail de Élisabeth Peellaert, la traductrice d’À la première étoile, d’être parvenue à restituer la discrète étrangeté de ce roman parisien sans être français. Eva parle la langue de l’oubli : un mauvais français mélangée avec cet anglais d’Irlande dont, sans doute, elle ne veut retrouver l’empreinte. Au-delà de son dispositif narratif assez redoutable (la quête de mémoire, depuis Modiano, est un pastiche d’enquête policière), plein de rebondissements et de reprises, Andrew Meehan, peut-être par sa langue faussement transparente, laisse sa part à l’incompréhension. Sans doute est-ce en cela que le roman touche à la substance des jours, à l’essence du contemporain. Le lecteur voit ces appartements désertés, ces amours contrariées où Eva s’évite. Reste toujours ce soupçon, le ferment d’une bonne histoire, et si tout ceci avait été inventé ?


Un grand merci aux éditions Joelle Losfeld pour ce roman

À la première étoile (trad: Élisabeth Peelaert, 313 pages, 22 euros)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s