La veille de presque tout Victor del Arbol

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Dans La veille de presque tout Victor del Arbol livre une intrigue entraînante. Moins historique que ses précédents romans, ce roman est une belle interrogation sur la culpabilité et la survie.

Mes lectures creusent la veine espagnole. La hantise d’une mémoire collective également. La mauvaise foi serait d’affirmer, ricanant, enfin un roman espagnol qui ne soit pas sur la guerre civile. Pousser la réflexion un tout petit peu plus loin permet alors d’interroger cette réticence française à intégrer une histoire récente aux déchirures tout aussi fraternelles.

Dans ses précédents romans, Del Arbol a déjà montré sa capacité à prendre en charge l’histoire. Son dernier, Toutes les vagues de l’océan y parvenait avec finesse. Sans doute par une vraie aptitude à incarner ses personnages qui, par passage obligé, sont cabossés. Ici l’inspecteur prénommé Germinal (bel trouvaille) ne déroge pas : enfant abusé, tueur d’un meurtrier… Et pourtant le roman fonctionne parfaitement. On ne saurait même pas dire trop.

La prétention critique. Une forme de snobisme. Par exemple ? Prétendre discerner une école du polar ibérique. En très grande forme par ces connivences. Penser par exemple à Aro Sainz De La Maza ou dans une vaine plus comique le très délectable Carlos Salem. Tous édités chez Actes Noirs. D’où sans doute une illusion d’optique.

Sur le papie,r le héros affecté d’un doppelgänger paraît un dispositif narratif usé jusqu’à la corde. Notons pourtant que La sentinelle de Lisbonne le reprend avec une sensibilité crédible. Dans La veille de presque tout, le jeune personnage qui rencontre une disparue, mène une double vie en rejetant sur cette petite fille ses accès de violence ne paraît peu crédible. Pourtant del Arbol parvient à donner une certaine cohérence à ce qui semble un ressort. Peut-être par la fragmentation du récit en divers personnages. Un dispositif de narration peu fiable dont Paula Hawkins me semble abuser.

La dernière partie du roman me semble lui accorder un poids et une profondeur remarquable surtout quand ils n’alourdissent aucunement l’intrigue. La galerie de personnages de ce roman, tous un peu trop heurtés par la vie, se retrouvent dans cette aspiration malheureuse à se réinventer. Del Arbol souligne avec pertinence le pessimisme à la source de ce désir de se réinventer.

Repartir de zéro est une promesse de résurrection insensée et impossible. Et malgré cela, elle respire encore.

Vie prolongée d’Arthur Rimbaud ne disait rien d’autre mais y ajoutait le fantôme de la poésie. Ou, pour poursuivre dans la vaine espagnole, Chirbes met en scène cet espoir insensé mais il paraît, peut-être, se délecter de cet échec.

Victor del Arbol n’exprime aucune résignation. Sans doute par la grande densité de ses personnages, il n’explore pas un thème que l’on pourrait hâtivement réduire au syndrome de Stockholm. Au lieu de nous proposer une plate reconstruction historique des tortures en Argentine, il explore avec finesse la culpabilité de s’attacher à son bourreau, d’éprouver une sympathie perverse pour celui dont le vieux Mauricio a longtemps espéré un signe. Tous les personnages se rassemblent autour de la culpabilité de la survie qui me semble un thème essentiel de la littérature. Nous en retrouvons une exploration tout aussi systématique dans Breaking news.

Plusieurs années après, Mauricio, après avoir perdu tout espoir de retrouver sa femme, rencontre par hasard Oliviero son ami devenu son geôlier. Le roman policier se fonde très souvent sur le désir de revanche et sur l’impossibilité de l’assouvir. Mauricio sera devancé et pourtant, belle idée de Del Arbol, sa seule vengeance aura été d’introduire une ombre de poésie dans le crâne de son ancien bourreau.

La beauté de ce roman tient pour moi moins à son intrigue que je ne saurais dévoiler ni résumer au digne portrait d’être « pris dans la nostalgie contradictoire de vies qui n’avaient jamais existé. » Un lien bien plus fort que leur rocambolesque rencontre. Une question que, pour rester dans le domaine espagnol, Javier Marías reprend Dans le dos noir du temps : et si je n’étais pas né ? Question obsédante au centre de cette sensation de viduité poursuivi dans ce carnet de lecture.

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