D’un carnet de lecture {7}

Longtemps que je ne m’étais pas arrêté sous une forme réflexive sur la pratique critique, sous forme première d’un carnet de lecteur, notes et impressions, ressentis et sensations avant que de faire, en livres (Crevel, cénotaphe, Un vide, en Soi) ou dans des articles une critique un peu plus approfondie. On le fait aujourd’hui comme une excuse. Octobre est débordé, interroge toujours autant sur la surproduction. Un peu trop de livres ou plus exactement l’impression parfois de n’avoir pas le temps d’accorder la latence essentielle à la lecture. Écrit sur le vif des notes qui mériteraient des relectures, d’autres conjonctions, j’y travaille ailleurs. L’occasion aussi de redonner la direction décisive de ce carnet de lecture : la joie. Il faut en finir, je crois, avec la frustration de la critique. Facilement, elle sombre dans la déploration, le fatalisme qui l’accompagne. Je suis toujours très heureux de recevoir des livres, heureux de parvenir à parler de ceux qui me touchent, de ceux qui un peu moins m’émeuvent mais mettent malgré tout quelque chose en jeu et, très rarement, ceux à côté de qui je passe dans l’indifférence. On ne fera pas de bilan. Toujours trouvé ça un peu triste de, comme on dit, faire le point. Façon surtout de pointer nos insuffisances. Allez quand même lire, pas tout à fait au hasard : Stern 111 de Lutz Seiler, Capitaine Vertu de Lucie Taïeb, Le cartographe des absences de Mia Couto, Musée Marilyn d’Anne Savelli, Les oubliés de Thannasis Hatzoupoulos. J’en oublie sans doute.

Peut-être parce ce qui m’intéresse reste le livre à venir, la prochaine lecture. L’occasion surtout de m’excuser auprès des éditeurs qui me font confiance. Un peu de retard, de fatigue aussi. Il faut prendre le temps de lire chaque livre, de ne pas céder à l’urgence. Rappelons aussi que je fais tout ceci gracieusement. Vous ne m’en voudrez pas, j’espère, de ralentir un peu. Tant de chose intéressante pourtant. On vous en parle très bientôt donc. Revenir sur le carnet de lecture, c’est d’abord préciser une méthode : comme tout écrit numérique, ce carnet tient par rapprochement. Une suite de lecture que j’opère en pensant des rapprochements, hasardeux, des continuités dont j’invente ensuite la dissemblance. On pourrait alors commencer par Mathias Richard qui, avec, À travers tout, signe une sorte de somme, non un testament espérons-le mais un point d’étape, manière de passer à autre chose, de continuer sa poésie des mutations qui, d’après ce que j’ai pu en surprendre en feuilletant ce livre, parait fort prometteuse. Ensuite, un petit mot sur Elvis à la radio de Sabine Huynh, texte autobiographique, poétique osons le mot sur l’invention de soi. On pourrait poursuivre avec L’inamour (quel beau titre) de Bénédicte Heim dont la prose, la poésie même, nous avait déjà fort impressionné. On restera à l’écoute de la sonorité du style, j’imagine, avec Jardin Radio de Charlotte Biron, histoire de voix et de cassette qui, par avance, me parle. On tentera ensuite, très hasardeuse ressemblance pressenti pipelette dancing d’Edith Msika, un lieu et des voix, peut-être encore, autrement. Tant que nous sommes dans les voix, on écoutera celle, entre spiritisme et intelligence, d’Hélène Cixous qui, visiblement, dans Mdeilmm raconte la rencontre, par table tournante, entre Hugo et le sexe de Shakespeare. Intrigant n’est-ce pas. On continuera dans l’évocation poétique, entre roman et autobiographie avec Vies antérieures de Gérard Macé dont Colportage m’avait si interrogé. Pendant que nous sommes dans l’autobiographie, on est en train de lire Le monde des amants de Michel Surya, un roman autobiographique sur la vie de Nietzsche, sur l’éternel retour. On vous en parle très vite ici ou, plus tard, avec le camarade Lucien Raphmaj, ô, joie puisque tel est le sujet ! et, on le poursuivra, bientôt, avec L’art de résister au malheur de John Cowper Powys.À moins qu’on vous cause avant de la joie de se tourner vers autrui avec Le peuple d’ici bas de Christine Van Acker.

Ne vous inquiétez pas, on se laissera prendre aussi au roman. Je vous parle très vite de Prenez de l’ail et de l’argent, du sel et de la terre d’Ursula Timea Rossel. Je suis en train de m’égarer dans cette crypto-cartographie des intrications quantiques, c’est très drôle et inventif. On vous parlera bientôt aussi de La fin d’une ère le dernier volume de la Saga des Cazalet. Peut-être en le rapprochant du livre collectif Ce qui nous arrive chez Inculte puisque la littérature doit savoir penser la catastrophe. On vous parlera aussi de Iochka de Christian Felis dont la couverture me, comme on dit, fait de l’oeil. Et puis, un roman roumain attise toujours ma convoitise. Comme d’ailleurs un roman d’Irlande du Nord, La surface de l’eau de Neil Hegarthy. Ou des nouvelles, littéralement, du Guatemala par Eduardo Halfon qui interroge la paternité. On lira aussi son versant plus trash, lacanien ?, avec Lalalalangue de Frédérique Voruz. On parlera aussi, malgré tout, de l’identité collective, avec le recueil Le goût de l’Europe, avec un texte inédit de Borgès, un texte de Pamuk…On vous parlera aussi de K comme Almanach dont on ne sait rien et c’est très bien ainsi. De La nuit des orateurs d’Hédi Kaddour, parce qu’il faut continuer à interroger la rhétorique, la construction de L’instant décisif aussi de Pablo Martin Sanchez. Et, puisque la langue est si décisive, on parlera avec plaisir de la nouvelle traduction des Raisins de la colère de John Steinbeck. Un seul polar, mais non des moindres : Nocturne pour le commissaire Ricciardi de Maurizio de Giovanni. On vous parlera aussi d’espionnage soviétique avec Ordre de survivre de Julian Semenov. Bref, programme chargé et pas mal de retard.

On a oublié de vous parler de l’artique retour de On a tout l’automne de Juliana Lévéillé-Trudel : le roman c’est toujours revenir à sa communauté d’origine, l’inventer…

4 commentaires sur « D’un carnet de lecture {7} »

  1. Oui, belle bibliothèque (ça doit être super de recevoir tous ces livres gratuitement !)…
    Hélène Cixous était hier soir dans l’émission de Laure Adler, sur France Inter, « L’Heure bleue » : quelle hauteur par rapport à certains des invités quotidiens ! Un souffle, une envergure, une vision qui élèvent (en attendant la lecture de son livre) ! 🙂

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